Voyage au coeur de soie

"J'aimerais que mourir soit comme décoller ou atterrir"

(Claire Landais)

Les flashs d'un aéroport la nuit.

Lumière d'ambiance, d'un vieux lait, ma couleur préférée...
ça réveille, surtout après un interminable trajet en métro à dormir debout,
une première !

Et puis repérer son terminal, repérer la porte d'entrée, repérer son port d'enregistrement, repérer sa boarding gate, repérer son siège d'attente, repérer son avion, repérer son siège.

Et c'est là que tout commence...

                                                             La jouissance de l'envol et du départ
                 comme une suspension temporelle,             
                                                             ou un espace transitionnel,
                                                             en tout cas un lieu qui n'a pas d'heure,
                                                             et un temps qui n'a pas de place.


Voyage donc paisible, peu mobile, barricadée entre deux grosses dames.

Escale à Abu Dhabi, je cherche du regard ces hommes mirifiques aux longues tuniques blanches et cheichs quadrillés rouges et blancs cerclés de noir.
J'ai abandonné l'idée de trouver un mari, mais quand même souhaite contempler ceux qu'on ne voit nulle part ailleurs. Hélas, on trouve surtout ici des vitrines de montres en or et des brochettes de touristes endormis...

  
Lors du reboarding,  le voyage en inde commence.
Dans une étroite waiting loundge, déjà une explosion de couleurs, une file d'attente condensée et pressée, alors que pour l'instant, le boarding, lui, n'a pas commencé.
Patience est mère de la sagesse, et bousculade est petite soeur de l'Inde...
Le personnel de bord est débordé, il n'y a plus de bords...

Dernière ligne droite pour l'Inde, encore quelques heures de serénité au-dessus des nuages.
L'atterrissage est pire que l'abordage, les hôtesses de l'air perdent leur sérénité. A peine l'avion a touché terre que les passagers sont déjà debout, forment une file condensée et pressée, valisettes en main, et poussent vers la sortie...
Amusée ou médusée ?
Je me balotte...

Aéroport étrangement vide, étrangement clean, étrangement silence...
Delhi ?
Les portes coulissent...
une file condensée et agitée...
Delhi.
sauf que cette fois, les files sont tournées vers soi: taxi ?
...
Mr Lonely Planet dit qu'il faut se rendre vers les taxis prépayés.
Alors, la consigne suivie, le nouveau sac embarqué,
la porte claquée et reclaquée,
je viens en ton cœur delhi.

Trafic fouillis, klaxons assourdissants,
lignes blanches et feux de couleur obsolètes,
chaleur moite ,
air de poussière et de pollution,
bus archiblindés, ,
saris par milliers,
Delhi offre un accueil multisensoriel unique et inégalable...

Des souvenirs d'Asie sont interpellés, un goût de connu qui facilite le plongeon, mais c'est une baignade en mer inconnue, dans une sensation d'un absolu bazar.

Dans tous les cas, alors même que Mr Lonely Planet avait laissé présagé un doute, la première mission est réussie: j'arrive à l'hôtel saine et sauve...

La mission du jour est l'achat un billet de train.
Je l'accepte aussi délicate soit-elle.

Mais les premiers pas dans Delhi sont toujours fait d'errances...



D'abord, errante sur l'autoroute, en cherchant désespérément une station de métro.
Repêchée par un couple londonien éclairé, je trouve mon chemin et ma destination.



Puis, happée par le cœur de Delhi , j'erre dans le Main Bazar.
Repérée par un indien malin, je ne trouve ni mon chemin ni ma destination, mais un "special gouvernement office",
"no problem, no problem" me dit-il.
Mais si mais si, problem, il s'agit maintenant de revenir au point initial d'errance pour repartir vers la vraie destination (la gare).

Et ainsi, plusieurs pièges.
Quelques techniques d'évitement efficaces qui malheureusement s'essouffleront avant la destination finale.
A quelques pas seulement de la gare, à quelques points de la victoire, je ne vois pas l'erreur, et me trouve embarquée dans un énième piège, au premier étage.
Un lieu de vente bidon, disons à moitié, je ne m'en sors pas si mal.
un vrai billet de train mais une vraie arnaque.
D'où peut-être ces belles bagues à ses doigts. Le vendeur, expert conteur de billets et compteur d'histoires...


Aie aie aie, delhi.

Les mailles de tes filets ne sont pas de soie.
Tant de fils au cœur de toi, qu'il est difficile de leur échapper.
On se retrouve noué, emmêlé au cœur de soi...

Chercher à tout prix un sens à la vie.
Se reconnaitre empli d'angoisses face au non-sens
Éprouver le vertige de son égo
Le laisser nous envahir
Pour le plaisir
Aborder les bords du néant
Être attiré par le vide
Et résister.
S'étourdir.
Tomber sans vouloir se noyer
Pour vivre la force de lutter.
Sentir la vie.
Sans se contenter de respirer.
Sans que ce ne soit jamais fini...

Enfin installée dans le train, je me prépare à 27 heures de trajet. C'est là qu'un politicien indien m'avertit d'un air solennel de ses conseils avisés:

                      "You should not go to Darjeeling."
                "Why ?"
                      "They have problem there"
                "Really ?"
                      "Yes, they want to be free... they want Gorkhaland..."



Mais finalement, je trouve des compagnons de route, et attirée par leurs conseils avisés, je les suis sur la route de Darjeeling.
Question de feeling...
Il n'y a qu'à changer les plaques d'immatriculation, apaiser le cœur des peurs et se laisser guider.

yaqua gorkha

  " WELCOME TO GORKHALAND"

Un nouvel état est demandé, gestion autonome, tradition népalaise.


                   La révolution se fait en chantant,
                   en costume traditionnel,
                   dans la joie et la bonne humeur...


Hommes d'un côté.....

                                                                            Femmes de l'autre...


Certes, il y comme un manque de mixité, mais chacun peut s'exprimer...
En tout cas, la motivation est grande, discours et concert chaque soir sur la place principale de Darjeeling.
Les femmes ont un sourire radieux et un regard déterminé, les hommes portent les insignes (couteaux croisés) avec fierté et un regard déterminé.
Lors de discours revendicateurs, leur présence s'affirme davantage.
Dans leur costume 3 pièces, ils portent beauté, dignité et fermeté.
Impressionnant.
Les frôler ferait  frissonner...


                              Ils ressemblent à leurs montagnes,
                                sereines,
                                   majestueuses,
                                      surprenantes,
                                dénoueuses de noeuds,


                                                                                 ultragorkha...

Avec cette immersion progressive dans le voyage arrivent les premières rencontres.
Rencontres avec des touristes, des faux , des vrais de vrais , des qui font semblants,  des sympas, des pas sympas...
ces fameux touristes que les voyageurs cherchent à tout prix à éviter.
Reste juste à savoir si les voyageurs ne seraient pas eux-même un peu touristes quelque part ...
Bref!
En tout cas, avec ces  compagnons de route, il y aura d'agréables moments,
à fréquenter les bars louches,
à consommer en refaisant le monde le whisky du coin: le honey bee (sans glaçons) (urgh!),
à déguster avec plaisir les momos  (raviolis typiquement tibétains),
à siroter le darjeeling tea,
à partager diverses expériences,
à échanger conseils
à se balader
rêver...

                                 
Derya                                             Bert                             Phil

Dans tous les cas, à Darjeeling, les uniques stars, les voici:

Ces incroyables porteurs,
et toutes sortes de choses incroyables sur leur dos...

En s'aidant d'une lanière à l'avant du front
en étirant la nuque vers l'avant
en courbant le dos
en se concentrant sous le poids de l'objet bien positionné
en soufflant pour gérer l'effort
indifférents aux problématiques des voyageurs-touristes
ils gravissent inlassablement les côtes pour quelques roupies...

A Darjeeling, je fais aussi d'autres premières rencontres ...

Avec l'incongru :

Brosser, toujours aussi inlassablement,
un mur de pierre au savon...

                                                        Avec le contemplateur:

 Regarder,
 inlassablement,
                                                                             les montagnes... 

 .                      

Avec Angeli :

Son accueil chaleureux de quelques instants,
le meilleur thé de Darjeeling,
sa famille dans une ptite maison de rien du tout,
leurs sourires timides dans leur univers rose et fleuri
toutes les possessions accrochées au mur,
barbies, photos du gourou, objets divers,
comme autant d'objets rares et précieux
dont il faudrait chaque jour honorer la présence...

Les sensations et joies de voyage arrivent peu à peu sur les hauteurs de Darjeeling...

Après quelques courses

au grand supermarché de Darjeeling,

Je déguste, je déguste...
avec en entrée,
une balade circulaire sur vision panoramique,

                 et puis en plat de résistance,
                   tiens donc!...     des fils...
                   premiers drapeaux tibétains                                       seraient-ils le fil conducteur de soi?

A méditer, mais avant,
le dessert, un suprême...

La ville et son himalaya, avec une pointe à plus de 8000 mètres,
ça commence à faire...
en tout cas, un régal.





De quoi faire une bonne sieste ,

donc retour à l'hôtel,

où la vue est ... différente

Nice and relax toy train...
Voyage paisible, où il suffit de s'assoir, se détendre, et contempler, tout ce que j'aime...

Au départ de la gare de Darjeeling,

Les anglais ont laissé leur trace
On se croirait presque dans un métro londonien
(presque...)

                                une petite pause
                    dans un champ de fleurs...

Et puis, à l'arrivée,
on recharge le charbon,
requinque le train.

Et sur le retour, à nouveau, just sit and relax,

                                 look at the view,

look at the people and say hello!...

Look at the flowers

and say

"oooooohh! soooo beautifuuuuuuuul!"

Les fleurs en petits pots alignés sur les balcons, une drôle de spécialité de Darjeeling, bien plus que nos grand-mères encore ces indiens rafolent de ces oeillets, géraniums et autres fleurs colorées...

Ils sont fous ces indiens!

Et puis à Darjeeling, évidemment,

on ne peut passer à côté des jardins de thé...

Comme le vin en France, il se déguste et se consomme sans modération, du soir au matin, du matin au soir, et s'apprécie dans ses différentes saveurs. On parle de ses qualités, délicatesse et subtilité, ou au contraire brutalité et amertume.
Pour bien le sentir, on en met un peu dans ses mains, que l'on referme avec attention autour de ce trésor, on secoue énergiquement, on rouvre les mains légèrement, on souffle de l'air chaud au creux de ses mains, puis on peut sentir... Et recommence plusieurs fois pour la douzaine de thés de Darjeeling, première ou seconde récolte, jeunes ou vieilles pousses...

Afin de comprendre, le passage du thé des collines à la tasse en porcelaine, avec deux compères voyageurs, nous partons à la quête des informations.

Alors évidemment, l'agence touristique nous explique que le happy tea estate garden est fermé, pas de visite possible. Pas dupes, et aux faits des blagues indiennes, nous décidons de nous y rendre de nos propres moyens. Nous traversons ruelles et maisonnettes, escaliers et boutiquettes et finissons par trouver le fameux happy tea estate garden...ouvert...

Fournisseur exclusif de Harrod's, nous avons droit à quelques explications.

. Le thé est d'abord cueilli par quelques femmes 

rémunérées 1 euro par jour.       

               Puis le thé sèche comme ceci:

              sur une sorte de séchoir rectangulaire.

Puis une machine roulante,puis une trieuse-entortilleuse,

puis à même le sol pour fermenter,

puis d'autres femmes trient à la main les feuilles de bonne ou moins bonne qualité.

,

Les meilleures sont les plus jeunes, entières et plus fraîches.

Les moins bonnes sont les plus vieilles, effritées, et plus amères.

Instructif.

On espère avoir bien compris...

Il est temps de quitter Darjeeling, et d'aller plus en avant dans le voyage.
Réveillée de bonne humeur, pinçant le nez contre les mauvaises odeurs, retrouvant le cheminement voyageur, je me rends à la station de jeeps. THE moyen de transport du coin. LA JEEP.
Nombre de places illimitées, même si au départ, on a un numéro de place bien déterminé.
Et là, coincée entre 3 voisins indiens, à vrai dire plutôt charmants, je respire le bon air de la route...
Je partage l'oreillette de l'i-pod du voisin, avec plaisir, découvre amusée la musique indienne en vogue, et pour quelques heures...

"Porté par le chant du moteur et le défilement du paysage, le flux du voyage vous traverse, et vous éclaircit la tête. Des idées qu'on hébergeait sans raison vous quittent; d'autres au contraire s'ajustent et se font à vous comme les pierres au lit d'un torrent. Aucun besoin d'intervenir; la route travaille pour vous. On souhaiterait qu'elle s'étende ainsi, en dispensant ses bons offices, non seulement jusqu'à l'extrémité de l'Inde, mais plus loin encore, jusqu'à la mort"

(Nicolas Bouvier)

Voilà, tout est dit.